Un jour, j’ai porté un chandail sur lequel il était écrit ‘’Je bégaie. Et toi?’’.

Personne ne le remarquait. Je l’avais fait brodé en gris pâle, sur un chandail gris pâle.

Et c’était parfait.

Juste d’apposer mon étiquette de personne qui bégaie en lettres quasi-invisibles sur mon chandail me remuait l’intérieur 17 fois par jour. Mieux valait que personne ne remarque mon coming-out.

Mon bégaiement n’est souvent pas perçu par les autres. Et j’ai pris l’habitude de le cacher dès l’âge de 6 ou 7 ans. Ce fut donc toute une démarche pour moi d’enfiler l’étiquette de personne qui bégaie.

Il faut dire que pendant des années je n’étais pas certaine de bégayer. Mes parents bégayaient et c’était audible. Pas moi. Et tout le monde me disait que je ne bégayait pas. Ça devait être dans ma tête, non?!

L’orthophoniste que j’ai consulté a conclu à un bégaiement TRÈS LÉGER.

Ouin. Ce n’était pas l’étiquette qui me semblait la plus confortable. J’aurais aimé qu’on me dise franchement : oui, tu présente du bégaiement, et en plus, tu as l’air d’en souffrir beaucoup.

Un bégaiement qui me faisait souffrir beaucoup. C’est ça l’étiquette que j’aurais aimé recevoir.

Pourquoi? Pour me comprendre et me sentir légitime de ne pas être confortable dans ma parole.

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J’adore rencontrer des personnes qui bégaient qui me disent qu’ils ne bégaient pas.

Vraiment, comprendre une personne qui bégaie et qui dit qu’elle ne bégaie pas est systématiquement perçu par mon cerveau comme un escape room.

C’est quoi le premier indice?! Est-ce qu’il se cache de l’insouciance sous cette attitude désinvolte? Ou suis-je plutôt devant un socle identitaire d’une solidité irréprochable?

Il me reste combien de temps pour résoudre l’énigme? Est-ce qu’il s’en sacre du bégaiement au point de changer de sujet dès son prochain tour de parole? Est-ce que je risque de le heurter et qu’il se referme sur lui-même en un claquement de seconde?

Pis je gagne quoi à la fin? Est-ce mon égo qui veut flasher l’étendu de mes connaissances ou est-ce que je fais réellement preuve altruisme moi là?

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Est-ce qu’il y a un avantage quelconque à informer une personne qui bégaie qui ne sait pas qu’elle bégaie qu’elle bégaie?

Ça devient complexe hein?!

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Ok, mais c’est quoi au juste le bégaiement?

Le bégaiement, c’est de savoir exactement ce qu’on veut dire mais avoir de la difficulté à le dire parce que la suite des sons est perturbée par des répétitions de sons, de syllabes ou de mots, par des prolongations de sons ou par des blocages des parties du corps qui permettent l’articulation des sons. Le bégaiement peut être ressenti par la personne qui veut dire quelque chose sans que la personne qui l’écoute ne perçoive les répétitions, les prolongements ni les blocages.

Est-ce utile de porter l’étiquette de personne qui bégaie quand on ne souffre pas de bégaiement?

Non. Même que ça peut poser préjudice à la personne si on lui fait sentir qu’elle ne s’exprime pas comme il faut alors qu’elle est satisfaite de sa communication.

Par contre, selon mon expérience, les personnes qui bégaient et qui ne s’identifient pas aux personnes qui bégaient le font pour 2 raisons principales: 1) elles ne souffrent pas de leur bégaiement 2) elles ne savent pas ce qu’est réellement le bégaiement.

Si la parole d’une personne qui bégaie la fait souffrir, mais qu’elle ne sait pas que c’est le bégaiement qui la fait souffrir parce qu’elle ne sait pas vraiment ce qu’est le bégaiement, c’est dommage de ne pas oser lui parler de bégaiement par peur de lui causer du tord!

Oulàlà le casse-tête linguistique pour exprimer ces concepts!

Et si on rajoutait un étiquette?!?!?

Et bien oui, les personnes qui bégaient peuvent porter plus d’une étiquette diagnostic. Dans la littérature scientifique, des étiquettes les plus fréquentes qui sont documentées chez les personnes qui bégaient sont les suivantes :

Trouble déficitaire de l’attention

Trouble du spectre de l’autisme

Trouble anxieux

Trouble des sons de la parole

Trouble du langage

Que fait-on quand une personne autiste bégaie et qu’elle n’est pas consciente de son bégaiement? Est-ce qu’il y a un avantage à lui expliquer ce qu’est le bégaiement pour voir si elle se sent concerné par cette condition / différence de parole?

Ou quand on craint qu’une personne avec un trouble anxieux soit encore plus anxieuse si on l’informe de ce qu’est le bégaiement alors que la personne semble adopter plusieurs comportements d’évitement typiquement utilisés par les personnes qui bégaient? Est-ce qu’il ne serait pas mieux d’ouvrir le dialogue avec cette personne et d’aborder le sujet du bégaiement?

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Cette semaine encore, j’ai croisé le chemin d’une personne qui bégaie qui ne sait pas qu’elle bégaie.

J’ai perçu des blocages, des prolongements de sons et je l’ai vu commencer un mot, bégayer, puis changer de phrase.

C’est une personne qui dit que c’est plus facile de parler pour elle quand elle boit de l’alcool. Que le reste du temps les mots sont difficiles à sortir. Que ses pensées sont difficiles à partager. Que personne ne sait à quel point il se sent pris dans sa tête.

Mais ces paroles, il ne me les a pas confié à moi.

Et je n’ai donc pas osé lui parler de bégaiement de peur de forcer une étiquette sur lui.

Et je n’ai pas su ouvrir le dialogue au sujet du bégaiement.

Parfois, je ne sais pas.

Anny Dube

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